Bienvenue dans cette première édition de la newsletter Work Narratives !
Vous pouvez écouter cette newsletter au format audio ici.
Si vous lisez ce texte, c’est que nos chemins se sont déjà croisés… ou pas encore !
Au cas où, je me (re)présente rapidement :
👋 Je suis Valentine Gatard, fondatrice de Work Narratives. Passionnée par les évolutions de notre rapport au travail, de la santé holistique, et du développement personnel, j’ai développé depuis plusieurs années une approche opérationnelle de recherche actionnable pour accompagner individus et collectifs à envisager de nouveaux possibles.
J’essaie d’apporter de nouveaux angles de vue et de vous inviter à vous saisir de ces sujets d’une manière différente.
Après avoir écrit deux essais de recherches et d’analyse, j’ai lancé en 2021 mon podcast Work Narratives pour explorer toutes les briques de la transformation de la vie occidentale et du travail de manière holistique, avec une réflexion sur nos identités, nos récits, et nos actions pour demain.
Je porte la croyance profonde qu'un équilibre en toutes choses est nécessaire et possible.
Si vous me connaissez déjà, vous savez que ce qui me passionne est de repérer les synchronicités, ces hasards qui n’en sont pas, et de faire des liens entre des sujets ou des approches. C’est donc aussi ce que je vous inviterai à découvrir !
Pourquoi cette newsletter ?
En parallèle de mes activités professionnelles, j’ai démarré en novembre 2024 un Master de Recherche à l’IAE de la Sorbonne en vue de faire une thèse en sciences de gestion.
Je bouillonne d’idées et j’avais envie de vous inviter dans les coulisses de mes recherches et réflexions.
📩 Vous retrouverez ici 2 fois par mois mes différentes marottes autour du récit du travail, de la santé holistique, des enjeux de vocabulaire, et de l’identité.
J’espère que cette proposition vous plaira !
Au programme de cette édition :
Les réflexions suscitées par mon plongeon dans l’épistémologie
L’impact pour le travail
Ma proposition pour vous
Une recommandation sur notre rapport au langage
On y va ! 🔥
Ma grande découverte : la recherche académique nous rapproche du sens de la vie !
Qui aurait cru qu’une démarche telle que la recherche académique, avec ses codes et son sérieux m’amènerait si vite à cette conclusion ?
Alors, vous allez me demander ce qui me fait dire cela. Je comprends, le suspense est insoutenable !
Je vous explique : quand on démarre un projet de recherche (je fais genre je m’y connais mais ça fait 3 mois que je suis dedans, ne l’oublions pas !), il est de coutume de définir sa posture épistémologique.
Pause définition : qu’est-ce que l’épistémologie ? 🤓
Cette pastille (que je vous recommande) sur France Culture parle de “compréhension par l’être humain de sa propre démarche scientifique”. En gros, c’est porter une réflexion critique sur la connaissance, c’est réfléchir à ce qu’on fait, se demander pourquoi on le fait, et justifier ses choix.
L’épistémologie cherche donc à nous rendre conscients de ce que l’on fait.
Visiblement, il y a des débats dans le monde de la recherche sur le fait de définir d’emblée sa posture épistémologique. Certains disent que c’est nécessaire, d’autres que c’est superflu (version ultra raccourcie du débat, vous vous en doutez !). A titre personnel, j’ai trouvé cela extrêmement intéressant de me demander dans quel cadre épistémologique je me situais.
De manière très schématique, on nous demande de nous poser en premier lieu les questions suivantes :
Est-ce que j’ai une vision du monde qui suppose que tout est objectif et que la réalité est unique et concrète ? (C’est le positivisme).
Est-ce que je considère que la réalité est multiple, dépend du point de vue de l’observateur et doit être comprise à travers les significations que les individus lui attribuent ? (C’est l’interprétativisme).
Est-ce que je pense que la réalité est socialement construite et que nos connaissances sont le produit de cette construction collective ? (C’est le constructivisme).
Pour démarrer notre projet de mémoire cette année, nous avons dû rédiger un premier texte pour commencer à prendre du recul sur notre démarche, notre sujet, et faire preuve de réflexivité (notion sur laquelle je reviendrai plus en détail dans la prochaine newsletter).
C’est ce que j’ai trouvé passionnant : en observant ce que l’on fait et en se demandant pourquoi on fait ainsi, on se donne la possibilité d’avancer avec conscience, en affinant son intention.
Invitée par notre professeure à plutôt nous placer sur un continuum entre les différentes postures épistémologiques, j’ai acté que je me promenais entre interprétativisme et constructivisme.
La frontière entre ces approches est fine. D’un côté, l’interprétativisme me parle : comprendre les significations que les individus donnent à leur réalité, explorer leurs récits et saisir le sens qu’ils construisent, voilà une approche qui résonne avec mon sujet. Mais le constructivisme pousse encore plus loin : il ne se contente pas d’interpréter, il affirme que la réalité elle-même est façonnée par nos interactions et nos discours.
Autrement dit, ma recherche ne fait pas que décrire un phénomène, elle participe aussi à sa transformation. En intervenant sur un terrain, en menant des entretiens avec des personnes, en les incitant à verbaliser leur expérience, je contribue déjà à la construction d’une nouvelle réalité.
Ce constat m’a aussi fait réfléchir à la performativité de la recherche : peut-on vraiment étudier quelque chose sans l’influencer ? Dans le domaine des sciences de gestion, où l’on s’intéresse aux pratiques et aux transformations organisationnelles, il semble évident que la recherche n’est pas neutre. Elle propose des cadres, soulève des enjeux, influence les acteurs… Bref, elle agit sur ce qu’elle analyse. Cela m’a fait justement pousser un cran plus loin ma réflexion sur la neutralité.
La neutralité en recherche : un idéal ou une illusion ?
Quelques semaines avant de démarrer la rédaction de mon texte, j’ai eu un échange avec mon directeur de recherche qui m’a marquée. Nous venions de présenter une première version de notre sujet en classe et il m’a dit que mon optimisme et côté positif étaient trop visibles (pour ceux qui me connaissent bien, la surprise doit être de taille 😂). En gros, il disait que je manquais de neutralité.
Ayant établi plus haut (de manière formelle, mais j’en étais évidemment déjà consciente) que je pense que tout rapport à la réalité est subjectif, cela m’a surtout donné envie d’y réfléchir de manière plus poussée. Vous me direz, tant mieux, c’était l’objectif de la production en question !
Comme l’écrit Göran Palm, auteur suédois, cité par la chercheuse Christina Garsten : “From inside a cage, the world is always striped.” Nous voyons le monde à partir de notre position dans le monde. La démarche épistémologique, voire de recherche tout court, est d’interroger en permanence cette position dans le monde. Et finalement, n’est-ce pas intéressant de se poser la question dans nos vies quotidiennes ?
Ma compréhension est nécessairement influencée par mes valeurs et biais, mon rôle est de les interroger en permanence. En adoptant le cadre constructiviste, j’affirme en un sens que ma recherche n’est pas neutre. Mais mon rôle est de la rendre la plus neutre possible. Que mes convictions soient potentiellement implicites mais jamais explicites. C’est un travail de chaque instant, dans lequel je m’engage.
Le choix de mon sujet donne déjà des informations, dans le choix des thématiques, dans sa formulation, dans l’envie d’explorer, sur qui je suis.
Je m’intéresse à la manière dont les récits du travail influencent notre capacité à agir individuelle et la co-responsabilité collective. Déjà, à travers mon envie d’explorer ces enjeux, on pourrait avoir un aperçu de ma motivation à saisir les transformations du travail en vue de participer à créer des dynamiques plus vertueuses. Mon intérêt pour l'exploration des logiques plus collaboratives et éthiques oriente nécessairement mon écriture, mon terrain, et mes choix méthodologiques et théoriques.
Mon expérience en coaching peut à la fois enrichir ma compréhension des dynamiques systémiques en entreprise mais aussi induire des biais, comme une valorisation implicite de l’autonomie individuelle et de la nécessité de comprendre son système et d’améliorer les relations de collaboration.
Mon terrain d’étude m’amènera à analyser des significations subjectives avec ma propre subjectivité, je mobiliserai mes propres schémas de pensée pour interpréter d’autres actions humaines. C’est déjà ce que je fais à travers mes différentes activités. En l’occurence, dans ce cadre, c’est même la subjectivité qui fait la force de l’accompagnement.
La neutralité absolue est un idéal inatteignable, surtout en sciences humaines et sociales.
Ma recherche, comme toute recherche, est influencée par mes expériences, ma posture épistémologique et mes choix méthodologiques.
Je pratiquerai donc une réflexivité rigoureuse et j’analyserai mes propres biais et limites de mon approche au fil de mon travail de recherche. C’est d’une certaine manière ce que je fais déjà, ces explorations me permettent d’aller un cran encore plus loin.
Plutôt que de chercher une neutralité fictive, mon objectif sera d’atteindre une validité scientifique, basée sur la clarté de mes choix, la transparence de ma démarche et la cohérence entre mes hypothèses, mes données, et mes conclusions.
J’ai décidé de me lancer dans ce projet de recherche pour continuer de me plonger dans les différentes facettes de mon travail sous d’autres angles et pour enrichir mes méthodes pour mes clients. Je suis déjà plus que ravie de ce choix !
Dans les prochaines éditions, je vous parlerai du choix du cadre théorique - la manière avec laquelle on choisit de regarder notre sujet ; de la revue de littérature - la communauté d’auteurs que l’on convoque ; et de notre contribution à la recherche.
Voilà pourquoi je dis que cela nous rapproche du sens de la vie :
➡️ on doit décider avec quelle paire de lunettes on a envie de regarder le monde, à quelle communauté on a envie d’appartenir, et à quoi on a envie de contribuer, tout en se demandant à tout instant pourquoi on fait ce que l’on fait !
Pas mal comme prise de hauteur, non ?
L’impact sur le travail
Ma conférence signature a pour titre : Travailler ensemble, c’est superposer nos cartes du monde.
Je ne l’ai pas choisi par hasard !
Avant même de me plonger dans la recherche, j’étais déjà convaincue de la nécessité de nous interroger sur nos expériences, subjectivités, regards sur le monde dans lequel nous interagissons.
Quand on collabore, que ce soit en équipe, dans un collectif, dans toutes modalités de travail qui soit, il est intéressant d’être conscient que chacun porte en soi une représentation unique de la réalité, façonnée par son histoire, sa culture, son éducation, ses croyances, ses expériences.
Ces perspectives individuelles sont comme des cartes du monde, des représentations mentales subjectives de la réalité qui guident notre façon de voir et de comprendre le monde qui nous entoure.
Cela peut mener à des incompréhensions profondes.
Interroger sa carte du monde et la mettre en commun avec ceux avec qui on interagit est la première brique d’une collaboration et communication plus fluide.
J’ai été enchantée de découvrir au cours de mon exploration épistémologique la phrase “Une carte n’est pas le territoire” d’Alfred Korzybski, datant de 1933. L’idée est dans le même esprit : une carte n’est qu’une représentation du territoire. Je vous partage un extrait d’un manuel de recherche :
“Aucune carte cependant ne prétend dire de quoi il s’agit de façon pleine et absolue. Elle procède toujours par sélection d’éléments, jugés significatifs. Elle est toujours réductrice, elle doit délibérément abandonner certaines dimensions : en structurant une vision du territoire une carte valorise un point de vue. Pour un même territoire les cartes sont multiples. Il y a une infinité de cartes possibles. La VRAIE carte existe-t-elle ? Quand peut-on dire qu’une carte est meilleure qu’une autre ?” (Allard-Poesi, F. et Perret, V. (2014) . Chapitre 1. Fondements épistémologiques de la recherche. Dans Thiétart, R. (dir.), Méthodes de recherche en management - 4ème édition. (4e éd., p. 14 -46). Dunod.
Ma proposition pour vous
Si c’est un exercice que vous n’avez pas déjà fait, je vous invite à vous poser les questions suivantes :
➡️ Quelle est ma position dans le monde ?
Quels sont les repères et les expériences qui façonnent ma manière de voir mon travail et mes relations professionnelles ? Comment influencent-ils mes prises de décision, mes attentes et mes réactions face aux changements ?
➡️ Quel est mon prisme ?
Quels sont les cadres de pensée (culturels, éducatifs, professionnels) qui structurent mes croyances sur ce qui est "bon" ou "efficace" dans le travail ? Comment ces cadres peuvent-ils entrer en résonance ou en tension avec ceux des autres ?
➡️ Avec quoi j’interprète ce que je vis, ce que je vois, ce que je fais ?
Quels sont les mots, concepts ou références que j’utilise spontanément pour donner du sens à mon quotidien professionnel ? Ai-je conscience des limites et des angles morts de mon interprétation ?
➡️ Comment puis-je mieux comprendre et articuler mes perceptions avec celles des autres ?
Quels espaces existent dans mon organisation et dans ma vie quotidienne pour rendre visibles ces différences de perception et en faire des leviers d’innovation plutôt que des sources de malentendus ? Comment puis-je cultiver une posture plus réflexive dans mes échanges ?
Ma recommandation du jour : How language shapes the way we think
Difficile de parler de manière de voir le monde sans parler du langage et de son influence.
Concrètement, notre manière d’interpréter et d’agir dans le monde est-elle influencée par la langue que nous parlons ? Cette question, au croisement de la linguistique et de l’épistémologie, est au cœur des travaux de Lera Boroditsky. Dans son passionnant TED Talk "How language shapes the way we think", elle explore comment les structures linguistiques modèlent notre perception du temps, de l’espace et même de la causalité.
Les implications sont profondes : si notre langue influence notre façon d’organiser le réel, alors cela confirme que nos cadres de pensée – y compris en recherche – ne sont jamais neutres. La construction du savoir repose sur des filtres langagiers et culturels qui orientent nos hypothèses, nos catégories d’analyse et notre manière de nommer les phénomènes.
Dans une perspective épistémologique, cette réflexion interroge nos propres biais : comment nos récits façonnent-ils non seulement ce que nous voyons, mais aussi ce que nous jugeons possible ?
Parlons-en !
Qu’avez-vous pensé de ce premier numéro ?
Cette newsletter est un espace de réflexion et de dialogue. N’hésitez pas à répondre par mail, commentez, partagez vos idées et vos propres récits !
Vous pouvez aussi me retrouver sur LinkedIn ou sur Instagram, et suivre le podcast Work Narratives.
👉 Si on vous a transféré cette édition, inscrivez-vous pour recevoir les prochaines, rejoignez la conversation et réinventons ensemble les récits du travail !
Découvrir mon travail
Mon essai sur Le nouveau récit du travail
Mon podcast Work Narratives
Mes propositions d’accompagnements et de conférences sur mon site www.valentinegatard.com
A bientôt !
Valentine